Gabriel Weisberg enseigne l’histoire de l’art à l’université du Minnesota, aux Etats-Unis. C’est aussi l’un des rares experts en « art scatologique ».
« L’histoire commence chez les Mayas, qui prêtaient aux excréments un caractère divin. Elle se poursuit dans la peinture flamande du XVIe siècle, parcourt tout le XIXe siècle français et trouve son prolongement dans l’art contemporain, où la merde est un élément très présent.
En 1961, l’artiste italien Piero Manzoni changea de la merde en or. Il réunit 90 boîtes emplies de ses propres excréments (collection baptisée « Merde d’Artista »), qui furent mises à prix au poids….au cours de l’or sur le marché.
Trente sept ans plus tard, le plasticien britannique Marc Quinn emprunte à nouveau la piste scatologique en remplissant de son propre caca un moulage de sa propre tête, et en intitulant le tout « Shithead ».
« J’ai stocké ma merde pendant trois semaines, explique-t-il. Je la congelais au fur et à mesure, jusqu’à ce que j’aie la quantité nécessaire. Ensuite, je l’ai coulé dans le moule de ma tête et j’ai fait sécher. J’aime travailler la merde, c’est une matière morte mais elle évoque aussi la vie, puisque c’est un engrais. »
Depuis les années 1980, Wim Delvoye n'en finit pas de surprendre. A 35 ans, cet artiste considéré comme le plus important de sa génération en Flandres réalise à nouveau un coup de maître.Bétonneuse finement ciselée en bois exotique, coucou SM, baisers de cul, goal en vitrail, imprimés façon cochonaille : son vocabulaire plastique brandit une excentricité revendiquées,
toujours sur la brèche. Après avoir contaminé le milieu de l'art de cochons tatoués, de bombonnes à gaz, de pelles et planches à repasser décorées de motifs traditionnels extrêmement précis et minutieux, il est passé expert en broderie sur morceau de jambon et en sculptures d'animaux empaillés. En 1992 à la Documenta IX, Wim Delvoye se fit remarquer avec " Mosaic ", du carrelage émaillé avec des excréments comme motifs de décoration. Il franchit aujourd'hui une nouvelle étape avec " Cloaca " qu'il présente à partir d'aujourd'hui au Musée d'Art contemporain d'Anvers. Depuis plusieurs mois, l'artiste profitait de tous les événements artistiques pour montrer avec urgence, sur le coin d'une table, un dessin vite esquissé du projet qu'il était en train de développer.
C’est donc dans la plus grande cohérence qu’il présente actuellement, au musée d’art contemporain d’Anvers, ce qui est sans doute son chef d’œuvre à ce jour : une marchine à fabriquer de la merde. Glacée et racée, tout en bonbonnes de verre et tubes à essai, clinique et futuriste, sa machine (intitulée Cloaca) chie donc avec une régularité de métronome, sous les yeux incrédules des visiteurs.
En fait " Cloaca " est une machine de douze mètres de long, fonctionnant comme un système digestif humain, avec production de défécation incluse. Une machine composée de caissons et de flacons en verre reliés entre eux par des tuyaux.
L'alchimie de la machine permet d'observer les différentes phases de la digestion commandées par ordinateur. Calquée sur le modèle humain, " Cloaca " fonctionne 24 heures sur 24 et consomme petit-déjeuner, déjeuner et dîner préparés par un traiteur dont les cuisines sont installées au cœur du musée.
Grâce à la contribution de médecins, ingénieurs et bactériologistes la machine rejette une fois par jour une crotte solide biologiquement identique aux excréments humains. Prouesse technique, " Cloaca " répond à l'utopie de la machine aseptisée, efficace et rationnelle fonctionnant comme un corps humain dans une action totalement naturelle mais également répugnante. Wim Delvoye convie le spectateur à contempler, au cœur du musée, une défection des plus surprenantes. Entre performance et machine sculpture, invention grotesque et absurde à la Panamarenko, il réalise ici l'un de ses projets les plus infernaux.Le nom de " Cloaca " provient en fait de l'ingénieux système d'égoûts datant de la Rome antique et synonyme de quelques orifices corporels de certaines espèces animales.
Wim Delvoye ne nous invite pas au vernissage de son exposition, il convie les visiteurs aux premiers émois de son " bébé ". L'art n'est-il pas une naissance ?
Le peintre surréaliste espagnol Salvador Dali examine chaque matin ses étrons, les consultant tels des oracles:
« Je considère normal de surveiller mes selles et d'en parler. Ma merde fait partie intégrante de moi et sa consistance, son odeur, sa forme, sont liés à mes humeurs, à mon travail, à ma façon de vivre. »
"Comme d'habitude, un quart d'heure après le petit déjeuner, je glisse une fleur de jasmin derrière mon oreille et vais au privé. A peine suis-je assis que je fais une selle presque sans odeur. Et cela, à un tel point que le papier hygiénique parfumé et mon brin de jasmin dominent complètement la situation. Cet événement aurait pu être prédit par les rêves béatifiaient et extrêmement plaisants de la nuit qui, chez moi, annoncent des défécation suaves et inodores. La selle d'aujourd'hui est de toutes la plus pure si cet adjectif est toutefois propre à être employé dans une telle occasion. Je l'attribue sans conteste à mon ascétisme quasi absolu et me souviens avec répugnance et presque horreur de mes selles à l'époque de mes débauches madrilènes avec Lorca et Buñuel quand j'avais vingt ans. C'était de l'innommable ignominie pestilentielle, discontinue, spasmodique, éclaboussante"...
" Les (vesses) foireuses,... emportent toujours avec elles un peu de matière liquide... et sont insupportables à la société par l'odeur fétide qu'elles rendent : si l'on regarde dans sa chemise, on verra le corps du délit qu'elles y impriment ordinairement."
Voici les notes du maître, en juillet 1952 :
« Ce matin défécation exceptionnelle, deux petits excréments en forme de corne de rhinocéros... Des selles presque sans odeur... je l'attribue sans conteste à mon ascétisme quasi absolu et me souviens avec répugnance et presque horreur, de mes crottes à l'époque de mes débauches madrilènes avec Lorca et Bunuel, quand j'avais 21 ans.
« C'était de l'innommable ignominie pestilentielle, discontinue, spasmodique, éclaboussante, convulsive, infernale, dithyrambique, existentialiste, cuisante et sanguinolente... Alors qu'aujourd'hui cette continuité quasi fluide m'a fait penser toute la journée au miel des abeilles industrieuses... »
Picasso affirme que, même en prison, dénué de tout, il trouverait moyen de peindre sur les murs de sa cellule en utilisant ses doigts et ses excréments.
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Vaisseau extra-terrestre déguisé en crotte de chien, James Korn